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Comment je suis entré dans le monde de la musique


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A la demande générale de au moins 2 personnes, voici un petit sujet à propos de mon parcours professionnel dans le monde de la musique.

Désolé pour les fans de potins en tout genres, mais je vais commencer par le début, à savoir répondre à la question qu'on m'a très souvent posée : « T'as fait quoi comme études pour faire ça ? ».
Et ma réponse est à la fois décevante et rassurante: aucune étude en particulier, juste du bol, des concours de circonstances, des rencontres et surtout une passion pour le monde de la musique en général, et surtout les concerts.

Je préfère prévenir, ça va sûrement être long et chiant pour beaucoup parce-que je vais faire du « 3615 my life » (comme on dit chez les vieux qui ont connu le minitel).
Je n'ai pas super l'habitude de parler de moi, j'aime pas trop ça en fait, mais comme j'aime parler de mes passions, forcément, dans mon cas l'un ne va jamais sans l'autre, parce-que j'ai la chance de n'avoir jamais eu l'impression de « travailler » dans ma vie, j'ai toujours fait ce que j'avais envie de faire, et je n'ai donc jamais connu ce fameux « ho merde j'ai pas envie d'y aller » quand le réveil sonnait, même si forcément y'a des jours où t'as le petit coup de mou, les moments de galères, mais je n'ai jamais bossé pour l'argent TOUJOURS pour le plaisir avant tout, et ça je suis bien conscient que c'est un putain de luxe.

(c'était juste l'intro)

Chapitre 1
« Comment la musique est devenue toute ma vie »

Dans mon cas il faut donc remonter très loin. D'abord mes parents : mon père était assez bon à l'école et voulait être pilote de ligne, ses parents ont dit « Non ! », du coup il leur a dit : bon, ben j'arrête les études je vais être boucher charcutier, ma mère voulait être coiffeuse ses parents lui ont dit « Non, tu vas travailler dans une banque ! ».
Il se sont rencontrés, ont fait des enfants (moi étant le premier ) et ils se sont toujours promis un truc : si un jour on a des enfants, ils choisiront ce qu'ils veulent faire et on ne s'opposera jamais à ce choix quel qu'il soit (premier « coup de bol »)
De fil en aiguille ma mère a arrêté de bosser, mon père a beaucoup changé de taff et on a beaucoup déménagé, il est donc passé de boucher charcutier à travailler en grande surface, puis devenir directeur de magasin, puis directeur de secteur dans la grande distribution, puis dans les meubles.
Il faut dire ce qui est, il n'a jamais hésité à changer, bouger pour évoluer eu fur et à mesure de sa vie.
Pour nous c'était pas hyper simple quand t'es gosse parce que t'as pas le temps de te faire des potes que tu dois déjà repartir à zéro dans un autre lieu, mais ça t'apprend aussi à te forger un caractère qui t'oblige à aller vers les autres.
J'étais à la fois plutôt bon à l'école (en ne foutant pas grand chose) et en même temps le clown de la classe. Bref, jamais eu de problème pour m'adapter à toutes les situations.

Au fur et à mesure, mon père a quasiment passé sa vie à aller à fond dans son boulot, ce qui fait que je n'ai quasiment jamais connu les vacances en famille, et que mon père était très souvent absent , mais il m'a dès tout petit transmis sa passion pour la musique : il y avait toujours de la musique à la maison, un de mes premiers cadeaux de noël c'était un mange disque, et grâce à son taff avec les fournisseurs etc... il avait toujours toutes les nouveautés musicales et des trucs bizarres que personne ne connaissait.
C'était les années où c'était la norme d'avoir un grand rayon disque dans les grandes surfaces du coup chaque semaine il amenait à la maison les disques et albums qu'il avait reçus, il les enregistrait sur sa chaîne sur des cassettes audio : et j'écoutais en boucle tout ce qui passait, je regardais les (rares) émissions musicales à la télé (les fameuses émissions des Carpentier) et j'avais l'équivalent à la maison de Itunes tellement j'avais de choix de musique à écouter.
Mes loisirs je ne les passais pas à jouer au foot dehors ou autre, mon plaisir c'était de mettre le casque et d'écouter des disques et cassettes, surtout que mon père avant même d'en avoir en quantité par son taff, en avait aussi pas mal acheté (fans de l'époque des yéyés, j'avais en gros aussi tous les 45t de johnny, des chaussettes noires, et tous les tubes des années 60)
Les premières cassettes que j'ai poncées était le live « Made in Japan » de Deep purple (j'aurai sûrement l'occasion d'en reparler plus tard dans un autre chapitre), et « Dark side of the moon », de Pink Floyd . Y a pire pour débuter. Mais aussi ça allait de Claude François à Elvis, en passante par Brassens, Brel, et Abba (dont ma mère était fan), puis forcément tous les tubes possibles et imaginables. Mais aussi les Beatles, Bowie, Hendrix, Led Zeppelin, etc..
Un autre artiste qui allait avoir soin importance pour plus tard : Jean Michel Jarre avec les deux premiers albums Equinoxe et Oxygène, ainsi que les 45tours « Radioactivity » de Kraftwerk ou « Onyx » de Space art puis « magic fly » de Space tout court : en gros je découvrais les synthétiseurs, les boutons partout, les sons bizarres et j'avais envie de jouer avec tout ça.
Je dois avoir genre 5 ou 6 ans quand mon père m'amène à mon premier concert (commencez à rire... : Carlos, Annie Cordy et Il était une fois). J'en garde pourtant un souvenir dingue de voir « en vrai » des gens qui étaient à la télé, je réalise que la musique c'est aussi et avant tout des gens sur une scène.

Suite à un nouveau déménagement, comme chaque année ma mère fait le shopping pour nos affaires de rentrée en 5ème et je flashe sur un sweat noir avec une tête de démon dessus en bas est écrit « purgatory » et au dessus « Iron maiden », j'avais passé ma sixième à me faire mettre à part et même taper dessus par une bande de jeunes trou du cul...parce-que je passais pour le chouchou avec mes bonnes notes et mon petit look bien propre.
Dans ma tête, changer de look, ça allait tout changer : le côté « j'écoute des trucs de gros méchants ça va faire peur ». J'opte donc également pour la veste en jean.
Je commence à écrire sur ma trousse, créer des faux badges (fabriqués avec des épingles à nourrice et des logos découpés sur des magazines et collé sur des bouts de carton.), j'utilise seulement des groupes avec des « noms qui font peur » : Saxon, Black sabbath, Scorpions, AC/DC, etc...
que des groupes que je connaissais....de nom.

Bien sûr je fais le malin en faisant semblant de croire que je n'écoute que ça, et je me retrouve avec une bande d'amis fans de musique mais qui écoutent de tout (un fan de Renaud, une fan de Téléphone, un fan de Kiss, un fan de Supertramp, etc...) j'enrichos donc encore ma culture musicale.
J'organise un fête à la maison (une « boum ! »), et un de mes potes, en rapport avec mon sweat se dit que la meilleure façon de me faire plaisir c'est de m'offrir l'album de ce que je faisais croire comme étant mon « groupe préféré » qui venait de sortir : The number of the beast » d'Iron Maiden.
Une fois la fête finie je me suis dit que « je n'avais pas le choix », j'allais devoir savoir à quoi ça ressemble. Et bim, baffe dans la tronche je me prend en pleine gueule le heavy metal et dans ma tête ça change tout.
Malgré tout j'aime aussi beaucoup Téléphone et pour la première fois de ma vie je fais le mur et alors que mes parents pensent que je suis en train de dormir je vais les voir, emmené par la tante d'une copine de classe : c'est mon premier vrai gros concert que j'ai choisi de voir.

Après un autre déménagement je me retrouve dans ma période new wave. Je continue à écouter du metal, mais comme je suis un peu le seul (mis à part quelques uns qui sont plutôt dans l'esprit punk et me font donc découvrir Gogol 1er et la Horde, Bérurier noir, exploited,...).
On est dans les débuts des années 80 et je découvre Depeche mode, The cure, Joy division, Duran duran, simple minds etc...
J'entre au lycée et je me tourne aussi vers une bande de mecs qui ont monté un groupe avec des synthés, et les 3 « groupes du lycée » parce que c'est trop la classe, je m'incruste un peu dans l'un des trois. Vous voyez « isabelle à les yeux bleus » des inconnus ? Ben....ça ressemblait vachement à ça sauf que nous on était premier degré à mort, c'était trop la classe. En plus eux ils avaient des thunes et avaient des synthés trop classes : DX7 et boîte à rythme. Je peux donc utiliser ça mais seulement avec eux, dans le groupe « septième ciel » ← on trouvait ça chouette mais en vrai on ne savait même pas ce que ça voulait dire, on a aussi un autre pote, mais lui sa passion c'est les ordinateurs, et dans ma tête, ça reste un truc avec des boutons et j'adore aussi « jouer » et j'aurais très vite un commodore 64.

Avec mes trois meilleurs potes, on décide de monter un groupe qu'on veut plus « dark », mais on n'a pas vraiment les moyens de s'offrir un DX7 alors on décide de demander à noël le même truc : un « Bontempi Eclipse », et comme on est vachement originaux on appelle notre groupe « Eclipse. ». Je suis co-compositeur, chanteur et parolier, et les premiers titres c'était « Cauchemar », « Messe noire » etc...
Ouais, on était trop dark avec nos Bontempi dans le garage de notre pote.

Et je déménage...

Quand j'arrive dans la nouvelle ville et le nouveau lycée, je demande dès le premier jour s'il y a des groupes, des mecs qui font de la musique et on me présente dès la première semaine tout le « gratin musical » du lycée.
Comme on ne me connaît pas je la joue : « ouais, j'avais deux groupes avant etc... » , c'était vrai...mais bon, disons que j'enjolive un peu le succès qui se résumait en réalité plutôt aux quelques voisins du pâté de maison.

Là j'ai passé mon année à faire connaissance, aller à tous les concerts de la ville et des environs, surtout quand c'était les groupes locaux, et je fais aussi partie d'un groupe monté par la classe de A1 option musique, avec entre autre celui qui deviendra mon meilleur ami avec qui je suis toujours en contact, on ne se quittera quasiment plus.
Je découvre le « grand » petit monde musical, les associations, la boîte de son, les lieux de répétitions, et tous les gens qui y sont. C'est là que je commence déjà à filer des coups de main en tant que bénévole pour tout ce qui est possible et imaginable autour des concerts : du collage des affiches au montage des barrières, charger décharger des camions, etc...
Je deviens un peu celui que tout le monde connaît et en un an je fais partie du paysage musical niortais, alors même que ne sais toujours pas vraiment jouer d'instruments (enfin si, en autodidacte, avec un bontempi chez moi quoi).
Mais mine de rien, sans m'en rendre compte, je me fais un petit billet par ci, un petit billet par là et surtout j'apprends et je rencontre... et je passe beaucoup plus de temps à me consacrer à la musique et aux concerts...qu'à réviser au lycée.
J'ai aussi fait une saison de deux mois en été avec un boulot à la con pour m'offrir un bon vrai synthé et ainsi faire partie de plusieurs groupes et commencer mes premiers concerts.

Pendant mes dernières années de lycée, avec tous les groupes on s'était dit que ce serait cool d'avoir une salle de répétition commune avec planning, on a donc contacté une maison pour tous qui était centrale, le jeune directeur était fan de musique et on s'est vite mis d'accord.
Avec deux potes on a monté une association qui s'occuperait de gérer ça, coorganiser des concerts, obtenir des subventions etc...tout ça aidé par le gars en question qui lui connaissait tous les trucs administratifs à fond.
(j'ai appris récemment que l'asso existe encore d'ailleurs)
On a donc monté cette salle de répète avec tous le matériel basique « une batterie, des amplis, un console, des micros des câbles etc... » ensuite chaque groupe devait s'inscrire, on faisait un planning et en même pas deux ans c'est devenu LE lieu de répète du coin.
On organisait des concerts avec nos groupes qui nous servait à financer du matériel, des stages avec des pros en techniques de chant, compositions, techniques, etc...,
Une autre association orientée seulement production de concerts venait de se transformer en entreprise, et on avait des deals avec eux pour qu'ils prennent régulièrement les groupes de l'asso en première partie des concerts qu'ils organisaient.
On avait également un deal avec la boîte de son du coin : on achetait tout le matos chez eux (tarif spécial pour les membres de l'asso), et ils avaient également l'exclusivité pour tout ce qui était événement en terme de son et lumières.

Au départ je me dirigeais vers des études de médecine : je voulais être chirurgien esthétique spécialisé en réparatrice. J'avais eu un pote gravement brûlé dans un accident de bagnole et je me disais que c'était forcément super de pouvoir « réparer » des gueules cassées.
Mais bon... ça voulait dire des années et des années d'études alors que j'étais en train de comprendre que les études ça me gonflait.
J'étais aussi passionné de cinéma donc j'ai également tenté un concours d'entrée pour un nouveau DEUG qui se lançait : langage image communication option cinéma, mais j'ai foiré l'oral.
J'ai malgré tout gardé l'orientation sur le côté scientifique (1ère S...deux fois et terminale D...2 fois) puis direction Poitiers pour un an en fac de math officiellement (un an en fac de fiesta en réalité).
Pendant tout ce temps je me rendais compte que « mes études » m’empêchaient de me consacrer pleinement à ce que j'aimais le plus : la musique et les concerts. Et en plus c'était frustrant de savoir que finalement je ratais plein d'occasions de bosser sur des événements (et donc gagner un petit billet au passage en plus d'être vraiment dans mon élément).
En fin d'année, j'ai donc dit à mes parents : allez, je laisse tomber la fac.
Ils m'ont dit ok sans problème (et je crois qu'ils étaient soulagés en fait, ils voyaient bien que ce n'était pas mon truc et aussi financièrement, me payer les études, un appart', alors qu'en restant chez eux j'étais plus indépendant).

Mais à mon âge, études stoppées ça voulait dire une chose : direction le service militaire qui était obligatoire à cette époque.


C'est un super cliffhanger pour arriver au chapitre 2

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Posted (edited)

Ah ! Trop cool que tu te sois décidé. En plus tu fais les choses bien, hâte de lire la suite !! 😃

Edited by Jumahy
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Chapitre 2
« Succession de coups de bol»

Pour les plus jeunes d'entre vous, vous n'avez pas eu ce souci en tant que mec : le service militaire obligatoire. Ça s'est stoppé fin des années 90. Les femmes qui le désiraient avaient le droit si elles voulaient mais pour les hommes c'était tout simplement obligatoire, on devait passer « un an sous les drapeaux ». Vous avez sûrement vu des vieilles comédies françaises (genre les bidasses en folie), c'était à peine caricatural.
Tant que tu faisais des études, tu étais tranquille, mais dès que tu stoppais ton parcours tu recevais ta convocation.
Pour pas mal de gens c'était pas si mal que ça : les bons souvenirs de rigolades entre potes, certains se trouvaient une vocation, et pour les parents c'était « un soulagement » quand tu avais un fils un peu borderline parce-que ça les calmait bien niveau discipline, rangement, vie en communauté.
Tu était logé nourri blanchi et tu recevais une petite solde et quelques avantages (genre une cartouche de gauloise gratos par mois et des trucs comme ça. Ouais, c'était pas le truc le plus sain du monde), autre avantage, tu pouvais y passer des permis gratos, dont le permis moto, voiture, poids lourd et autre.

Mais pas mal essayaient d'éviter cette corvée.

Il y avait plusieurs moyen d'en « échapper », soit tu avais fait des études longues, tu avais déjà une femme, un enfant, et donc en tant que chef de famille tu n'étais plus obligé.
Soit tu avais du piston (pour t'envoyer là où tu voulais, ou passer en douce).
Soit tu te faisais réformer (parce que tu avais un souci de santé que tu pouvais prouver... beaucoup se faisaient réformer P4 : cinglé, les méthodes employées étaient assez marrantes).
La dernière solution était d'être objecteur de conscience ce qui signifie que tu refuses tout simplement l'autorité et de porter des armes, il suffisait pour cela d'une simple lettre où tu expliquais ta motivation, après avoir passé les fameux « trois jours »

 

Là vous devez vous dire: fastoche ! Je dis que je veux pas, et merci au revoir.
SAUF QUE
 

Du temps de mes parents quand tu étais objecteur de conscience, au lieu de faire un an de service, tu passais deux ans... en prison.
Heureusement ça a évolué avec le temps et on pourrait dire qu'en quelque sorte c'était deux ans de TIG (travaux d'intérêts généraux) au lieu des 1 an en tant que militaiire.
Par contre tu devais te débrouiller pour trouver une administration, ou une asso qui soit en capacité de prendre des objecteurs. A cette époque vous devez vous douter que toutes les administrations, mairies, association d'intérêt général, etc.. se mettaient en capacité pour embaucher des objecteurs : la main d'oeuvre gratos, plutôt cool !

Le nombre de postes était limité, mais honnêtement, c'était facile à trouver, t'avais des annonces plein l'ANPE.
Alors, faut pas rêver, c'était rare d'avoir des trucs dingues, mais y'avait aussi des trucs sympas, et même si tu signais pendant deux ans, tu avais ta solde (comme les militaires) + une prime correspondant en gros au dédommagement du fait que tu devais te loger et t'habiller toi même.
Ça faisait une paye légèrement en dessous du smic si je me souviens bien mais comme souvent on habitait encore chez nos parents, c'était du bon argent de poche.

Si vous avez suivi, je vous ai parlé du gars qui était directeur de la maison pour tous et nous avait aidé pour la salle de répète. Il était en contrat « à la con », mais c'était le genre de contrat que tu ne peux pas renouveler indéfiniment et il savait qu'un fois son contrat terminé il avait son fameux « service » à faire, mais en fait tout était calculé puisque le service culturel de la ville de Niort était en train d'organiser deux gros événements annuels : un festival d'été multidisciplinaire et un événement jeunesse pour l'hiver.
Il est donc allé rejoindre son nouveau poste créé pour l'occasion en tant que coordinateur musique pour ces deux événements et en tant qu'objecteur de conscience.

J'imagine que vous voyez le truc venir : J'ai fait mes « trois jours » (avant ça devait être 3 jours d'où le nom mais là c'était juste une journée une nuit dans une caserne, tu passes des tests, une visite médicale, un psy, etc..), j'ai joué le jeu et du coup mes tests étant bons ils voulaient que je passe des tests supplémentaires pour être directement sous officier, ils ont fait une drôle de tête quand je leur ai dit que je m'en foutais de toute façon que je voulais être objecteur de conscience, quand ils ont demandé la raison j'ai juste dit : j'veux pas me couper les cheveux.

Comme j'étais très pote et que je connaissais tout le monde du secteur j'ai suivi tout ça, filé des coups de main en bénévole, et l'année suivante j'ai rejoint l'équipe en tant qu'objecteur pour le poste de coordinateur rock.
En gros j'étais devenu « monsieur Rock » pour la ville de Niort alors que j'avais 20 ans, on a fait vraiment plein de choses y compris monter des projets qui n'ont pas abouti, c'était intensif, mais putain de passionnant.
Le festival d'été s'appelait « Europe d'Art d'Art », la région poitou charentes, ça a toujours été une mine d'or pour la culture, les subventions étaient monstrueuses (des Francofolies au festival du film policier de cognac, en passant par le Futuroscope, les salles de concert etc... c'est assez exceptionnel).
Faire un Festival Européen, c'était aussi une manière de mettre en avant l'Europe (oui c'est con dit comme ça, mais à cette époque, c'est pareil, l'argent coulait à flot parce que c'était aussi politique).

Et en vrai, c'était absolument génial autant pour nous que pour le public, tout était gratuit et pendant quasi une semaine la ville était envahie par le festival avec des artistes venus de toute l'Europe : arts plastique, théâtre, danse, etc... et bien sûr musique (classique, jazz, traditionnelle, et ...rock).

Il y avait des commissions pour chaque branche, je participais à toutes les réunions générales, mais ma partie la plus importante était de faire la programmation, et pour cela je devais écouter les cassettes qu'on recevait (le cd commençait à peine à arriver), essentiellement des groupes amateurs, on en recevait de toute la France, pour cela il y avait des annonces faites dans les divers magazines, mais aussi, comme on était relai régional pour les sélection du printemps de Bourges, tous les festivals faisaient passer le message, les associations, que ce soit par fax ou courrier, on avait aussi la branche rock indé d'une grosse maison de disque qui était installée à Niort et donc les boîtes nous envoyaient aussi leurs artistes en devenir. Concernant l'étranger, on avait également des relais dans les villes jumelées qui faisaient une préselection et nous envoyaient ensuite les artistes qui leur semblaient prometteurs.
Inutile de vous dire qu'en gros je devais recevoir entre 10 et 20 démos par jour, donc je passais des semaines à écouter tout ça : au boulot j'écoutais des démos, dans ma voiture, chez moi, et je faisais un premier tri.
Ensuite chaque semaine on se retrouvait en commission d'écoute et je faisais écouter mes sélections de la semaine et tout le monde pouvait donner son avis histoire d'avoir des avis objectifs.

Ça paraît cool (et ça l'était) mais pas si simple, autant il y a des trucs que tu élimines très vite, autant à la fin tu ne sais plus et tu dois faire des choix. J'ai quand même passé de nombreuses heures à écouter des merdes mal enregistrées et je suis forcément aussi passé à côté de trucs dingues.

Mais il n'y avait pas que les envois, je passais l'année aussi à être envoyé dans tous les festivals possibles et imaginables, aller voir des concerts pour rencontrer et voir des groupes...et j'étais payé pour ça.
Sans compter que je faisais ça en France (Les francofolies, le printemps de bourges, les états du rock à Montpellier, les transmusicales de Rennes, etc...) mais aussi à l'étranger où j'allais rencontrer nos contacts locaux.

Bon...quand j'étais à l'étranger j'étais en général accompagné des directeurs d'autres commissions, donc je me tapais aussi des expos, des concerts de classiques, des spectacles de danse, des animation de rue etc..

Puisque vous aimez les anecdotes, en voilà une sympa : notre contact en Hollande était responsable d'une salle de concert, et on avait rencard avec lui l'après midi pour discuter des choix, et il nous dit : venez ce soir y'a un concert justement, ils ne sont pas dans la sélection parce-qu'ils débutent, mais c'est un super groupe, je pense qu'ils vont cartonner, ils espèrent sortir leur premier album l'année prochaine. On ne pouvait pas parce que le soir on était déjà attendu pour un autre truc mais on est allé les voir en balance et papoter un peu avec eux, très sympas, et en effet le peu que j'avais entendu me plaisait bien.
C'était Within Temptation.

Bref, rien que dans ces deux années, il y aurait des dizaines et des dizaines de rencontres et d'anecdotes à raconter.
Mais une chose est certaine : sans ces deux années de « service », je n'aurais jamais fait la suite.

En parallèle de tout ça, bien entendu je continuais à jouer dans quelques groupes (clavier, parfois chant), m'occuper de l'asso, organisation de petits concerts.
J'étais jeune et plein d'énergie, il n'y avait plus que la musique et les concerts dans ma vie.
Je filais en plus des petits coups de main par ci par là, j'étais pas mal sollicité et je répondais toujours présent.
Ce qui fait que j'étais également devenu ami avec un paquet de gens importants dans le secteur.

Encore une anecdote importante : la deuxième année, pour nous aider, on avait fait venir deux gros noms dans le monde de la musique « attaché de presse et son mari régisseur ingé son » pour nous épauler. Ils continuaient à coproduire des concerts et un soir ils font une date de Fishbone qui était en tournée, ils cartonnaient à ce moment là avec leur morceau : « Black flowers ». c'est sur Poitiers dans une petite salle, et comme je veux absolument les voir j'y vais (payer un billet de concert je ne savais pas vraiment ce que c'était bien sûr j'étais toujours invité, pass backstage, VIP etc... »
Fishbone tournait avec un petit groupe inconnu en France, je me dis que je vais au moins aller voir un ou deux morceaux avant de boire une bière. Je croise les mecs dans les loges vite fait, le chanteur a un bon petit look sympa, ils sont assez timides. Je vais dans la salle il devait y avoir quoi 100 pékins, entre ceux pas encore arrivés qui venaient seulement pour Fishbone et ceux qui restaient au bar dans la salle à côté.
Je me colle devant la scène, les mecs arrivent et je prend la gifle de ma vie : C'était « Tool », première fois de ma vie que j'entendais parler d'eux, de leur musique et là bing direct en live à 50 cm de ma tronche.
Ma vie musicale a basculé ce jour là, j'ai vraiment senti dans tout mon corps que je vivais un truc énorme.
Anecdote bis : avec ma longue tignasse brune, des mecs bourrés ont ensuite passé la soirée à me taper sur l'épaule : « sympa ton groupe ! Super guitariste ! »... on m'a pris pour Adam Jones, et ça c'est quand même un peu la classe.

 

Je pourrais écrire 20 pages sur cette période tant il y en aurait à dire, des amitiés créées mais aussi perdus de vus, puis retrouvé grâce à internet des années plus tard.
Mais toujours est il que mes deux années de programmation pour la scène rock j'ai pas à en rougir, c'était compliqué, stresssant, crevant mais trop bon.

 

Avec tous les contacts que j'avais établis, je n'avais pas de mal à faire jouer mon groupe, et à continuer à être invité sur les concerts après, et bien sûr l'asso et les coups de mains divers et variés.
J'ai bossé aussi sur différents festivals, comme les allumés à Nantes, et puis en régie locale, en road, je faisais n'importe quoi tant que je restais dans la musique, payé ou pas payé.

Un jour on me dit : y'a un gars qui vient de s'installer dans le coin, il était sur Paris, ras le bol, il est venu s'installer dans la région, et il veut monter un groupe ici, je vais te le présenter tu vas être surpris.Un certain « Yves Brusco » plus connu sous le nom de Vivi ex Trust. On s'est rencontré, on a tout de suite accroché, on est devenus super pote, j'ai même auditionné pour son groupe mais en fait il préférait rester sur une structure rock basique base guitare batterie.
Mais il m'a dit : toute façon on va avoir besoin de quelqu'un avec nous alors on t'embarque dans l'aventure.
C'est devenu un de mes meilleurs potes, c'est lui qui m'a appris à changer les cordes, accorder des guitares, le batteur m'a appris à monter une batterie, bref, j'ai appris les bases du métier de backliner sans le savoir que ça s'appelait comme ça. On a récupéré un vieux local (qui appartenait au boss de la boite de son qui était devenu producteur, et sondier du groupe), on a passé deux mois à en faire une salle de répétitions, on a enregistré une première maquette, puis un album, des concerts, ça n'a pas décollé pour des raisons diverses et variées, mais pendant un an j'ai passé quasi mon temps H24 avec eux et un autre groupe du coin qui m'avait aussi pris. Donc j'ai vivoté tout en habitant chez mes parents, mais j'ai vécu des trucs de malades (comme rencontrer Iron Maiden, passer une journée avec eux, et même monter sur scène pour chanter lalalala...dommage c'était juste le moment ou Blaze Bailey venait de remplacer Bruce, mais bon, quand même quoi! Et Aussi tous les potes de Vivi (pas eu le temps AC/DC, mais c'est après une cuite dans une loge avec Anthrax par exemple que j'ai rencontré celle qui allait devenir ma femme, mais bon, c'est une autre histoire on s'en fout).

La boite de son locale, même si elle cartonnait, commençait à voir d'un mauvais œil qu'un des trois associés (le chef, Manu) être trop avec nous, et c'est donc un des trois associés qui s'est rendu à un appel d'offre pour une tournée française d'un artiste qui cartonnait : Olympia, tournée des zénith, bref c'était du lourd.
Sauf que les producteurs c'était des vieux de la vieille, ils ont vu venir le petit provincial, ils ont fait une proposition indécente et le gars, trop content de pouvoir dire oui est revenu le lendemain avec le contrat signé.
Dans le deal, il y avait un énorme investissement à faire (un système son particulier à acheter, deux consoles hors de prix (Midas XL3 pour les connaisseurs), des flights en pagailles, des racks remplis de Lexicon et trucs hors de prix, en gros les ingés ont fait une liste au père noël (en principe y'a discussion, ils demandent le plus pour avoir un peu moins).

Les mecs lui ont joué à la chacal : si tu signes ce soir, le marché est pour vous.
Il a signé....

Sauf qu'il n'avait pas vu que dans le contrat il y avait aussi la prise en charge des techniciens et surtout le transport !

Bref, c'était un truc intenable......mais le contrat était signé.
Quand ils ont recalculé ils ont essayé de renégocier, mais c'était trop tard, la machine était lancée.
Et il fallait qu'il recrute une équipe (un régisseur plateau, un assistant son, un rigger, un backliner, des monteurs, des chauffeurs), il a réussi à négocier des mecs sur place pour la première date, histoire de pouvoir réduire les frais, ils ont fait la préprod, la générale et ensuite il y avait plusieurs jours à l'Olympia et c'était des dates cruciales parce que symboliques : c'était les derniers concerts avant que la salle ne ferme pour les travaux de rénovation, donc il y aurait du gratin et la boîte de son espérait que ce soit aux petits oignons pour espérer au moins que l'effet publicité fonctionne.

Il m'avait proposé avant d'aller bosser sur cette tournée en tant que backliner, mais quand il a vu le merdier il m'a dit : désolé mais je vais devoir embaucher des gars sur place.
J'étais à la fois soulagé parce-qu'en réalité même si j'avais donné des coups de mains, fait des trucs comme ça, je n'avais pas la moindre idée de ce que représentait une grosse tournée, donc c'était soit j'y suis dès le début soit je n'y suis pas.
Mais en même temps, j'étais hyper déçu de ne pas la faire même si à la base c'était pas spécialement un artiste que j'écoutais. Mais j'avais envie de voir ce que c'était une vie de tournée.

Un soir je reçois un coup de fil : mon pote Manu (le gars en question de la boite de son).
- T'es chez toi ?

- Ouais.
- Prépare une valise je descend te chercher en bagnole je fais l'aller retour pour te prendre on monte à Paris, ils ont viré le backliner, je dois leur en amener un autre dès demain matin tu es à L'olympia, on est en plein montage, ça joue dans deux jours, ils sont vénères, y'a rien qui va.
- heuu...ok, à toute.
On a roulé toute la nuit et au petit matin j'étais à l'entrée de l'Olympia pour rencontrer les mecs.

Et le premier que je rencontre : un gros moustachu, le régisseur de la tournée on se serre la main et là il regarde mon pote :
- j'espère que celui-là ça va aller pas comme l'autre sinon ça va chier !

Bonne ambiance, il m'avait survendu genre : il est super bon, c'est un crack qui fait ça depuis des années. (et moi dans ma tête c'était : putain mais c'est quoi un backliner de tournée?)


Et c'est encore un super cliffhanger pour arriver au chapitre 3

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Il y a 8 heures, Vicarious a dit :

(et moi dans ma tête c'était : putain mais c'est quoi un backliner de tournée?

😆 j’imagine le stress 

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Je sens l'écart de génération là :lol: mais c'est vraiment super intéressant à lire, merci beaucoup @Vicarious !

 

C'est tellement cool d'avoir pu rencontrer Within Temptation au tout début... et Tool... Je n'avais jamais vraiment réalisé à quel point les personnes qui gravitent/bossent dans l'univers de la musique pouvaient rencontrer autant de groupes et surtout à autant de moments de leur carrière... C'est vachement sympa ! 

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C'est clair c'est un milieu qui a l'air aussi stressant que passionnant. J'ai un pote qui bosse dans le milieu du spectacle (notamment tous les ans aux nuits de Fourvières à Lyon), il y a toujours des trucs croustillants à raconter.

En tous cas c'est toujours sympa de lire tes retours sur ta vie dans ce milieu @Vicarious

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Tes récits sont géniaux ! 

 

(Je me suis juré la même chose que tes parents, ne pas m'opposer aux quelconques choix de métiers de mes potentiels futurs enfants haha)

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Posted (edited)

Chapitre 3
« Une aventure qui s'annonce bien »

Alors d'abord pour commencer, voilà en quoi consiste le métier de backliner.
On va schématiser tout en gros (d'autant que maintenant beaucoup de choses ont évolué et surtout j'ai déjà tendance à détailler un peu tout, à force vous allez me taper), pour le public il y a du son (la façade) et des lumières.
Pour les artistes sur scène il y a leurs instruments et leur son pour eux (les micros et les retours).
La backline, c'est tout ce qui concerne les instruments sur la scène. (Je dirai parfois Le ou La pour backline, parce qu'en réalité comme on traduit pas "ligne arrière, c'est "La" mais par habitude on dit très souvent "le" comme pour dire "le matos")
Un backliner est donc responsable de tout ce qui est en direct avec le musiciens (les guitares, amplis, batteries, synthés, percussions, etc... leur matériel perso quoi). Dans le cas des grosses grosses machines (genre Rammstein au hasard), chaque musicien a son propre technicien.
Mais en réalité il est plus courant d'avoir un (ou deux) backliner pour s'occuper de tous les instruments : montage, démontage, accordage, etc...
Quand vous voyez quelqu'un se pointer sur scène pendant un show pour échanger la guitare, venir régler un petit truc, remettre en place un pied qui est tombé, serrer un bidule, etc.. , mais si, vous savez, le mec en noir qui arrive des backstage bidouille un truc et repart vite fait : c'est le backliner.

Le boulot avant le show c'est de faire en sorte que tout soit prêt quand les musiciens arrivent sur scène, que tout soit placé à l'endroit voulu, les musiciens n'ont rien à faire sauf jouer.
Pendant le show : veiller à tout. Une corde de guitare cassée, en avoir une toute prête pour l'échange, repartir sur son spot, changer la corde, que cette guitare soit à nouveau prête. Un pied de micro qui a bougé, venir le replacer, un musicien te fait signe : tu vas voir quel est son souci et tu dois le régler d'une manière ou d'une autre pour que le public ne se rende compte de rien.
Dans le cas d'un festival, il s'agit très souvent uniquement de linecheck (on prémonte, on place, on branche, on vérifie que tout fonctionne et go).
Il arrive aussi régulièrement qu'on fasse les balances nous mêmes entre techniciens quand la tournée est bien lancée et que tout roule, comme ça les musiciens n'ont même pas besoin de venir pour les balances.
Et bien sûr après le concert, on range, et c'est reparti le lendemain.

On est souvent appelé aussi « la nounou des musiciens » parce qu'on est vraiment le membre de l'équipe technique le plus en contact avec les zicos, on connaît leurs habitudes, (genre tu sais qu'à tel morceau Machin a une pause d'une minute et en profite pour fumer une clope, tu lui as préparé sa clope juste avant et il n'a pas besoin de perdre du temps à chercher ses clopes, son briquet etc..)
Ça fait un peu « boniche » dit comme ça, mais en réalité c'est vraiment plus comme : tout faire pour que les musiciens soient au top, comme ça le concert est au top, et le public est content.
Il faut être à l'affût de tout et prêt pour toutes les situations, même les plus improbables.
Les petits détails sont souvent justement ce qui fait la différence.
Les musiciens doivent pouvoir compter sur leurs techniciens, il y a donc aussi un lien de confiance qui doit se tisser.

Tout ça, je n'en avais pas encore conscience parce-qu'en réalité tout ce que j'avais fait depuis ces dernières années, en tant que « technicien » c'était d'abord être leur pote, et en plus je filais le coup de main tout en apprenant des trucs.
J'avais fait pas mal de dates, pour un petit billet, voire même juste en mode : on part ensemble faire la fête avec un groupe sur un ou plusieurs concerts, mais c'était d'abord des potes.

Par contre, l'avantage que j'avais par rapport à d'autres qui débutent complètement : je connaissais très bien le fonctionnement d'un concert côté organisateur, et pareil pour le vocabulaire, les chargements, les difficultés techniques, et aussi TRES IMPORTANT (et je suis sérieux) je savais ranger les câbles, c'est une technique à connaitre, un coup de main à prendre, et quand tu fais ça naturellement, tu gagnes du temps et de l'argent (parce que l'entretien du matériel fait partie du B-A BA), etc...

C'est justement surtout que pour ça que mon pote Manu qui me cotoyait depuis plusieurs années a direct pensé à moi: on se connaissait en tant que pote mais aussi très bien de manière professionnelle.

Pendant la router qui m'emmenait à Paris on s'est donc parlé de manière cash.
- Mais tu sais qu'en fait je n'ai jamais fait ça vraiment
- Tu verras, tu vas très bien t'en sortir tu connais l'essentiel, ce qui te manques tu l'apprendras sur le tas
- Et le gars que je remplace pourquoi il s'est fait dégager ?
- Je sais pas, mais ça n'a pas collé avec les musiciens
- Justement, je ne connais personne, alors que l'équipe est déjà en place, ça va être hardcore !
- T'inquiète pas, déjà je serai là, au moins au début, je te présenterai ceux que j'ai engagé, c'ets des bons gars, je leur ai parlé de toi déjà, donc ça va le faire. Le plus dur ce sera de convaincre la prod et les musiciens, mais je te connais t'es sympa, je suis sûr que tu vas bien passer.

J'avais fait un sac rapide donc je débarquais les mains dans les poches avec ma paire de Converse (si si, vous verrez plus tard que ce détail est important).

Manu a aussi été très clair avec moi, pour ça aussi que le fait d'être pote a été important: il a été direct. Je savais pour l'histoire du deal foireux, je savais qu'il risquait sa boîte sur ce coup là et qu'il jouait gros, donc j'avais aussi envie de lui rendre service. Et bien entendu évidemment j'étais également super emballé sur le fait de faire partie d'une « vraie » tournée, de voir comment c'était etc...

Pour le moment Manu devait réduire les coûts au maximum, donc TOUT ce qu'il devait prendre en charge il fallait qu'il se démerde pour que ça coûte le moins cher possible.
Il avait investi une somme colossale pour le matériel.
Les seuls leviers sur lesquels il pouvait donc jouer étaient le coût du personnel qu'il engageait (donc réduire l'équipe au max et les coûts annexes associés dont notre transport et hébergement). Il avait déjà réussi à trouver un chauffeur de camion et un camion pour pas trop cher (qui n'avaient jamais fait de tournée puisque normalement c'était du transport de légumes) enfin voilà en gros tout était tiré pour choper tout au ras des pâquerettes.
Mais malgré tout il fallait quand même des gens de confiance, qui connaissent le boulot, pas des pinpins, et des gars qui accepteraient aussi par amitié de baisser leur tarifs habituels.

Du côté de la prod pour eux le deal était ainsi :
Nous on s'occupe de l'artiste, des musiciens, et notre équipe habituelle, de la mise en place de la tournée, salaire, transport, hébergement etc.. pour toute NOTRE équipe.
L'équipe consistait en :
Un régisseur général, Un ingé son façade, un ingé son retour, un ingé lumière, 8 musiciens (1 percussionniste, 1 bassiste, 1 guitariste, 1 clavier/choriste, 3 cuivres (trombone, sax + violoncelle, trompette), 1 batteur), 1 backliner, l'artiste et son manager, 2 agents de sécurité : soit 17 personnes sur la route.
Un tour bus avec les musiciens et techniciens, et une voiture à part.
Les hôtels bookés, et les repas prévus sur place à chaque fois.

Alors que côté Manu, il devait se démerder avec tout le reste avec la somme qui avait été conclue dans le contrat.
Il devait donc respecter une fiche technique son et lumière, le montage et le transport, l'équipe qui va avec (il pouvait embaucher 50 personnes si ça lui chantait, eux ce qu'ils voulaient c'est que le matos soit là, présent et monté et que le concert se déroule sans souci). Il avait donc l'obligation, à la demande de la prod, d'embaucher un backliner supplémentaire + niveau personnel obligatoire dont il est impossible de se passer sur une tournée : un chauffeur pour le transport du matériel, un régisseur scène, et au moins un rigger (c'est une personne qui a une habilitation pour tout ce qui est sécurité du matériel en hauteur, c'est lui qui grimpe pour accrocher décrocher en général ce qui est éclairage, etc... ).

Inutile de vous dire qu'il a donc réduit au maximum l'équipe :
Pour le montage lumière il y avait donc 2 personnes dont un rigger qui ferait aussi le taff d'assistant lumière, pour le son 2 personnes dont un qui serait aussi assistant façade et l'autre assistant retour, le régisseur scène, et un backliner (moi donc) soit 6 personnes.

Et tous, nous savions que nous allions aussi devoir donner des coups de mains supplémentaires qui sont habituellement faits par d'autre personnes (les assistants sont d'habitude seulement assistant, ils ne font pas de montage, les backliners s'occupent du backline uniquement, une équipe de road est embauchée sur place pour tout ce qui est chargement déchargement, là on allait devoir se démerder nous-même).
Petite cerise sur le gâteau : nous allions nous déplacer dans un minibus 6 places en nous relayant pour conduire d'une date à l'autre.... et on devait se démerder nous même pour payer notre bouffe en mode sandwich pour éviter de cramer nos cachets dans la bouffe vu qu'on était tous payé au minimum. Notre hôtel c'était 2 chambres en truc style formule 1 / première classe donc à 3 par piaule dans les conditions que vous connaissez pour ceux qui ont déjà fréquenté ce genre d'hôtel.

Parfois dans certaines villes il n'y avait même pas d'hôtel de ce type, c'était donc des espèces de machins comme on en voit dans les films d'horreur.
C'est rigolo d'en reparler 20 ans après, et pareil, au début ça nous faisait marrer, mais je peux vous assurer qu'on a très vite trouvé ça moins funky.

Manu m'avait donc expliqué tout ça (y compris le fait que mes cachets seraient les cachets minimum qu'il était possible de verser à quelqu'un, de mémoire je crois que c'était 300 francs brut par date), et moi ça ne me faisait pas peur, et j'arrive pour la première fois à l'Olympia (enfin sur le coup je ne m'en rend même pas compte parce que l'entrée par derrière c'est un vieux truc tout pourri, donc rien à voir avec la belle façade lumineuse).

Il est genre 5 ou 6 du mat', on a passé la nuit à rouler, je suis un peu fatigué mais surtout hyper excité d'entamer l'aventure.

On passe donc par le petit bar à côté ou Manu me présente à Jean-Pierre, le fameux gros moustachu à l'air pas aimable, et un autre Jean-Pierre, le patron de la boîte de prod.
Il me dit vite fait que pour le moment de toute façon c'était d'abord le montage, donc que je devais voir avec Manu et que quand le backliner (Gaël) allait arriver, on fera connaissance, puis avec les musiciens.
Je ne sais plus si c'était le matin même, ou l'après-midi, ou même le lendemain, mais bon en tout cas, j'ai encore eu un coup de bol parce-que le gars m'a direct mis à l'aise.
Je m'étais posé la question de savoir si j'allais être cash avec les zicos et le backliner et leur dire vraiment que ça allait être ma première tournée ou la jouer : je fais genre je connais histoire de ne pas passer pour le neuneu qui débarque.
J'ai écouté mon instinct : être sincère, j'ai même évité de trop raconter toutes mes expériences passées, comme ça au moins c'est comme si j'étais une feuille vierge qui avait tout à apprendre.
Ça passe ou ça casse : c'est passé haut la main.
D'abord parce-que le gars en question lui était un vieux de la vieille qui connaissait toutes les combines, qu'il était breton avec son petit caractère et sa fierté et que du coup je pense que ça lui faisait plaisir de pouvoir « être le chef », et qu'en plus j'ai vite compris que si le gars avant s'était fait jeter, c'est justement parce-qu'il avait un peu trop pris la confiance, parce que lui aussi était expérimenté et qu'il a commencé très vite à plus ou moins vouloir imposer sa façon de faire.
Mais avant tout ça, j'entame le début du travail, Manu me présente vite fait ceux que je ne connais pas et qui seront mes compagnons de route pour les mois à venir, je rentre direct dans le bain, on m'explique le kit (tout le matos qui sera utilisé, le plan de scène, le plan de feux) et je me rend utile direct pour tout et n'importe quoi: on tire des câbles par-ci, on monte des lumières par là, on change une ligne, on pousse des caisses.

Le montage vient tout juste de débuter et on attend au fur et à mesure les livraisons du matos commandé, on ouvre les colis, tout doit être testé, monté, et au fur et à mesure je vois aussi que Manu s'inquiète un peu : est-ce que tout pourra ensuite rentrer dans le camion ?

Je viens de passer une nuit blanche et j'entame ma première journée de taff sur une tournée avec un artiste national, les yeux écarquillés comme un gosse un matin de noël, on est en mars 97, je n'ai pas encore 27 ans, je suis à l'Olympia, et dans deux jours, la salle sera pleine et il faudra que tout fonctionne nickel.

Bien sûr, la suite au chapitre 4.

Edited by Vicarious
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C'est vraiment palpitant ce que tu nous donnes à lire. Hâte de lire la suite, et les spin-off :

 

"Bref, rien que dans ces deux années, il y aurait des dizaines et des dizaines de rencontres et d'anecdotes à raconter.
Mais une chose est certaine : sans ces deux années de « service », je n'aurais jamais fait la suite."
 

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  • 4 weeks later...
  • 5 weeks later...

Bon anniversaire @Vicarious 

 

Mais ou suis je ? J’ne sais pas du tout pourquoi je l’poste là… pas du tout, du tout.

Aucune idée ! Vraiment ! un pur hasard, du bon endroit au bon moment sur ce topic si intéressant ! Dommage que celui qui l’a ouvert, n’écrive pas la suite de ses histoires palpitantes en ce moment. 

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Vous n'avez pas encore compris qu'il veut tenir son public en haleine et qu'il ne veut surtout pas perturber l'actualité trépidante de la tournée ? :rolleyes:

 

Bon anniversaire @Vicarious 🍹 profite de ton été et n'écoute pas tes fans hystériques qui vont finir par te séquestrer pour connaître la suite de tes aventures 🤭

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La suite tant attendue...attention c'est long

 

Chapitre 4
« L'Olympia c'est épique ! »

Ok,j'aurais mis le temps, j'essayerai d'être moins longtemps absent sur ce sujet pour la suite, d'autant que ce qui va intéresser pas mal de gens j'imagine ce sont les trucs croustillants.
Il va sans dire que tout ce qui sera évoqué ici le sera le plus souvent « sans les noms » (même s'il est probable que vous comprendrez en gros de qui il s'agit), pour éviter les éventuels soucis.
 

Pour ce premier artiste toutefois, je ne vais pas pouvoir y couper je vous dirai de qui il s'agit, en plus ça pourra aussi permettre de redorer un peu son image qui en a pris plein la tronche à une époque : c'est là aussi que j'ai pris conscience que ce qu'on lit dans les journaux n'est jamais à prendre pour argent comptant.

Me voilà donc à l'Olympia, comme je l'ai dit, pas préparé, avec une nuit quasi blanche de voyage, mais l'adrénaline m'aide et j'emmagasine les infos tout en poussant une caisse ici, en déroulant un câble là.
On monte le système de son tout neuf, pour l'instant pas encore d'instruments sur scène (les zicos arriveront dans la journée) mais Gaël me briefe un peu sur les gars celui qui est mauvais mais c'est un pote du boss alors faut faire semblant qu'il soit bon, celui qui est toujours de mauvaise humeur, celui-qu'il faut brosser dans le sens du poil, bref, en gros j'ai déjà une image toute faite de chaque gars, je dois aussi commencer à retenir leurs prénoms (et comme il y a des prénoms exotiques, ce sera pas forcément simple, mais on va s'y faire), il y a même deux américains, mais dont un qui parle plutôt bien le français, l'autre ? « bof toute façon c'est pas grave, il sert pas trop »...ok. Ambiance...

Mais je commence aussi à avoir le pedigree et la manière de se comporter avec tout le monde, les musiciens, ok, c'est fait.
Le « boss » ou « l'artiste » (c'est le nom qu'on prend l'habitude de lui donner, histoire que lorsqu'on parle boulot en dehors, genre dans un bar, les gens à côté ne sachent pas vraiment de qui on parle. Ce n'est pas une demande de sa part, c'est juste une convention, je remarquerai dans les années à venir que c'est souvent le cas)

 

- Il est où ton flight ?
- Heuuu...quel flight ?
- celui où tu as tes outils pour bosser.
- ben... j'en ai pas
- Ha bon ???? ok... bon ben écoute tu pourras taper dans mes outils pour le moment, mais si tu restes avec nous faudra au moins que tu aies le minimum.

…..grand moment de solitude... je pensais que tous les outils étaient fournis.

Gaël me rassure :
- Bon, toute façon les guitares je m'en occupe, donc t'as pas à t'en préoccuper, toi tu monteras le reste je t'expliquerai au fur et à mesure et chaque musicien va t'expliquer quand ils seront là.
Moi je suis toujours à Jardin, alors toi tu te placeras à Cour.
(bon je sais que certains ont toujours un doute sur ces termes, pour ici, je vais dire que Jardin c'est côté Paul, et cour c'est côté Richard, le moyen mnémotechnique pour s'en souvenir c'est quand on est public face à la scène il suffit de penser Jésus Christ ou Jacques Chirac "J" et "C" : J comme Jardin (donc à notre gauche) C comme Cour (à notre droite, et Chirac il est à droite).

Bref, je fais aussi connaissance avec le plan de scène mais là, je sens une effervescence, les consoles toutes neuves sont installées, et les boîtes sont en place, l'ingé son est là, il a son beau rack, tout est prêt....
Sauf que...
Il lance des bruits blancs, roses et autres et dit : « ben les gars c'est quoi ce bordel ? Vous entendez bien qu'il y a un souci !!! »
J'avoue que j'ai déjà dans les bottes des tonnes de concerts, de balances de tests en tout genre... mais je n'ai pas l'oreille et les compétences pour comprendre.
« Les boîtes sont hors phase !!!! »

(je précise que quand je dis « boîtes » c'est un peu le jargon qui parlent des enceintes qu'on empile pour faire le son façade)

Il semble que ce soit un souci, je vois mon pote Manu et ses collègues qui ont l'air bien emmerdés, merde, que faire ?
Il faudrait tout renvoyer, mais ça va coûter un bras et de toute façon le temps que ce soit envoyé et que de nouvelles boîtes arrivent, ce serait trop tard.
Louer des boîtes ? Ouais, mais :
1. C'est encore un coût supplémentaire
2. faut être sûr de trouver au minimum l'équivalent.

Ça commence à discuter sévère entre la production pour savoir qui est responsable, la prod estime que eux c'est pas leur problème.

 

Une décision extrême est faite :
On démonte tout le système, on vérifie chaque câble un par un, on interchange les différents amplis, etc...en gros on remonte de la console jusqu'à la façade pour voir si ça vient bien des fameuses boîtes.

Ça paraît pas comme ça, mais ça prend un temps fou, et on se retrouve tous assignés à une ligne qu'on démonte, qu'on vérifie, puis on passe à la suivante etc...
Les heures passent (du coup j’apprends des trucs supplémentaires et je dois donc aussi gérer un stress et un problème qui n'est pas censé être le mien).
En vrai l'équipe de prod dans leurs costumes je les vois dans les couloirs se marrer et j'ai les boules pour mon pote, on a tous envie que ça fonctionne, pour montrer que les petits rigolos de province savent bosser. Les heures filent, les musiciens débarquent et voient que c'est le bordel, du coup ça les amuse plus qu'autre chose, mais ils sont presque contents : « ha ben finalement on peut pas répéter alors ? » pas énervés du tout , plutôt sympas, Gaël me les présente vite fait mais je suis en plein boom, et ils me disent de ne pas m'inquiéter, faire ce que j'ai à faire, « t'inquiète ça va bien se passer »
Je passe donc d'une ligne à l'autre, on les teste, pendant ce temps là une décision radicale a été prise : tant pis pour la garantie : les boîtes neuves sont ouvertes une par une et un des techniciens va directement inverser la phase en refaisant les soudures. Ne me demandez pas le comment du pourquoi, comme j'ai dit, c'est hors de mes compétences. Le but c'est que : si on ne trouve pas le souci de ligne, au moins en rebranchant tout, les boîtes seront en phase.

En fin de soirée, on a donc du câblage partout qu'il va falloir remettre au propre, deux consoles neuves, une scène avec uniquement les praticables installés, le responsable de la salle qui n'arrête pas de gueuler (ça en sera une blague plus tard tout le long de la tournée, parce qu'à un moment le responsable lumière à relâché une guinde qui aurait pu foutre un beau bordel dans les cintres, n'oublions pas qu'on est à la fin de l'Olympia dernière génération et qu'il est limite dangereux tellement tout est vieux et mal foutu), tous les blocs d'enceintes neufs en mode « opération à cœur ouvert » les tripes à l'air avec un gars en train de dessouder, resouder. C'est un peu une sorte d'apocalypse et on se relaye pour aller dormir un peu et revenir : il faut ABSOLUMENT que le lendemain matin tout soit ok. On me le propose à chaque fois qu'un petit groupe va à l'hôtel, mais moi j'ai pas envie de passer pour le branleur qui vient d'arriver et qui ne tient pas le choc, je vais donc attendre encore un peu et être sûr que tout soit ok et passer ma seconde nuit blanche.

Même si en vrai je suis claqué...et putain j'ai mal aux pieds

Y'avait un truc que personne n'avait songé une seule seconde à vérifier... est-ce qu'en fait ce ne serait pas la console qui aurait un souci? Ben oui, on accuse forcément un vieux câble, un ampli, voire même une enceinte, même neuve d'avoir un souci...mais une console de luxe c'est pas possible !!!
Et pourtant, en inversant les deux consoles, on se rend compte qu'une des deux est bien défectueuse.

J'assiste pour la première fois à un truc assez dingue : la garantie Midas prévoit l'envoie d'un technicien, 7j /7, 24h/24 en cas de panne. Et là après un coup de fil on nous annonce qu'un gars va faire le déplacement directement de chez eux à Londres pour venir à Paris faire la réparation et recalibrer le tout.

On a donc la nuit pour remettre ce qu'on avait passé la journée à défaire, et hop, c'est reparti. L'ingénieur de chez Midas arrive, se pointe, tranquille, avec sa petite mallette et vient tripatouiller dans les entrailles de la bête. Trouve très vite ce qui ne va pas, change, fait les tests et hop, un café et il repart.
Nous on est tous à le regarder avec admiration, le type est cool, sympa, dans la rue tu le croises, tu le prends plus pour un vieux rocker avec son perfecto que pour un ingénieur hyper pointu, mais il est redoutable d'efficacité, il connaît ses consoles par cœur.
Le matos est cher mais on comprend pourquoi, y'a tout le savoir faire derrière.

Bref, après cet instant groupie, on est tous soulagés, surtout mon pote Manu qui en avait un peu marre de l'accumulation de galères.
On est plusieurs à aller se reposer, cette fois j'y vais parce qu'on m'y force et avec raison : je dois être « a peu près » en forme pour la journée qui m'attend.
Le temps d'arriver à l'hôtel situé à Montmartre, de prendre une douche rapide... c'est à ce moment là que je comprend pourquoi j'ai si mal aux pieds.
 

Pour ceux qui se souviennent, j'avais dis que ce serait important de dire que je portais des converses.


Première chose : les chaussures de sécurité c'est vraiment important, tu pousses, tu soulèves très régulièrement des trucs lourds : tu peux à tout moment te faire écraser les orteils.
Deuxième chose : tu vas marcher, piétiner, mais surtout beaucoup, beaucoup , beaucoup marcher et tes plantes de pied, il faut les bichonner.
En retirant mes chaussettes (classiques)...je me rend compte des dégâts : je n'ai plus de plante de pied , plus de talons: ce ne sont plus que deux énormes cloques, deux ampoules géantes.
Et là, je ne vais pas vous mentir, j'en chiale de douleur.
J'essaye de dormir, mais j'en suis à un stade ou le stress + la fatigue + la douleur j'ai du mal à vraiment me reposer, mais bon, je retourne quand même là bas après un petit déj vite fait, j'explique que j'ai hyper mal aux pieds et là les gars me disent : ben ouais pas étonnant avec des converses.
Il me faudra pas mal de jours pour retrouver une démarche normale, mais bon, voilà, j'ai pas le choix : Go !
J'achète vite fait une crème, une paire de chaussettes, toute façon maintenant c'est trop tard, dans deux jours je serai à la maison, j'irai me prendre une vraie bonne paire de chaussures de sécu : c'était la leçon du jour, je peux vous dire que celle là je ne l'ai pas oubliée.

L'équipe est super chouette avec moi, ils me chambrent gentiment, mais en même temps ils sont solidaires.
Quand Gaël arrive, je lui explique, il me dit : « allez, t'inquiète pas, c'est le métier qui rentre ! » je n'aurai même pas à me justifier auprès des zicos, même eux ils ont les boules pour moi et me donnent leurs petits conseils pour mes pieds.
Le gros avantage, c'est que là je ne vais pas avoir de kilomètres à faire : je vais rester sur la scène, le but ça va être d'apprendre tout ce que je dois savoir pour le déroulement du show, et comme je n'ai pas fait la préprod et la générale, forcément, tout le monde va surtout me présenter son matériel, me dire ce qu'ils attendent de moi.

Malgré mes pieds et la fatigue, ce soir ça va être le premier vrai grand show de la tournée et tout le monde est à la fois un peu nerveux, et surexcité du moment, ça va être un peu le soir de vérité pour l'artiste en question, bref, je suis dans le même état fébrile, ça ne devrait pas trop se voir que je suis en fait super impressionné par tout ça.

Parce-que oui, c'est sans doute là que je dois dire de qui il s'agit pour mieux comprendre l'enjeu.
Ce soir, c'est Khaled qui joue à l'Olympia. Jusqu'à maintenant il avait connu son petit succès avec « Didi » mais avait un public un peu niche. Sauf que depuis quelques mois il y a une bombe qui est sortie : « Aïcha ». Les producteurs ont misé gros sur l'artiste et ils ont eu raison, l'album pète tous les scores, et en quelques mois Khaled est devenu connu par tout le monde, on le voit partout et la petite tournée habituelle est entrain de se transformer.
L'enjeu est en fait important parce-que LA date que tout le monde attend c'est ce fameux Olympia.
Il faut se remettre dans le contexte sans internet.
Oui Goldman a fait cartonner le single Aïcha, oui l'album marche, oui ceux qui le connaissaient d'avant savent ce que ça vaut sur scène, mais est-ce que ça va convaincre le public « variétés » pour remplir des salles. Et pour ça, la seule solution c'est d'inviter tous les gens importants du milieu, médias, artistes, maisons de disques, les influenceurs de l'époque quoi, pour que eux puissent dire ensuite si « ça vaut le coup » de se déplacer.

Pour schématiser : si le concert est moyen, il gardera sa jauge habituelle, si le concert plaît à un public plus large, c'est parti pour une tournée plus importante en ajoutant des dates, dans des salles plus grandes que la vingtaine de dates prévue. Comme je disais il n'y a pas d'internet, et le bouche à oreille ça commence par Paris.

Pour être absolument honnête, heureusement, à ce moment là je ne réalisais pas l'enjeu de ce concert sinon j'aurais été encore plus stressé.
Dans ma tête c'était : fais pas de connerie, tiens le coup, concentre toi sur ce que tu as à faire, tu te réfléchiras après.

Gaël m'avait un peu parlé de chaque musicien, mais j'avais aussi une autre version, celle de notre régisseur genre : lui il est cool, lui il est comme ça, lui il est comme ci, il me prévient que je dois surtout faire hyper gaffe au clavier, parce-que le gars a une réputation de casse couille, il l'avait croisé sur une tournée, le gars s'était barré.
J'ai un peu les boules, parce-que les claviers c'est justement mon instrument, donc j'ai encore moins le droit à l'erreur, et dans un coin de ma tête c'est « fixette sur lui » pour être sûr que tout soit parfait, ce sera ma cible.

Je vais passer les détails, parce-que déjà j'en envoie beaucoup trop, mais pour résumer, les répétitions se passent super bien, je commence à fraterniser avec les musiciens qui sont supers gentils avec moi, ça rigole, ça plaisante, aucune raison que le concert se passe mal.

Ma seule déception : Khaled ne sera pas présent aux balances, il est surchargé d'interviews et ne sera là qu'au dernier moment, je n'aurai donc même pas l'occasion d'être présenté officiellement comme nouveau backliner, mais en même temps, il chante, donc à priori je n'ai rien à faire le concernant.
On me briefe sur l'entrée de scène : les musiciens entrent, commencent l'intro d'une chanson et Khaled sera à Jardin, avec Gaël, c'est donc lui qui gérera son micro et allumera ses oreillettes (on en est un peu au début des retours par oreillettes, ça coûte une blinde, on a juste une paire de rechange, et dans le pire des cas de toute façon il y a des retours partout sur scène), il entre sur scène en chantant, go.
Mais comme je disais, de toute façon je n'ai rien à gérer pour le chant.
L'ingé retour est habitué à lui, il s'adressera directement à lui s'il y a souci.
Mon boulot pendant le show sera simplement de faire gaffe à regarder tout le monde pour voir si quelqu'un a un souci, ils me font signe, je dois aller vers eux le plus discrètement possible (c'est pour ça qu'on est toujours habillés en noir), il me disent vite fait ce qu'il leur faut (ça peut aussi bien être « baisse la guitare dans mes retour », ou « ma bouteille d'eau est tombée » ou n'importe quoi, il faut que je percute direct pour résoudre le problème sans que ça nuise au show.

La salle se rempli, le rideau est fermé, le show ne va pas tarder.
Les trois meilleurs amis du backliner sont : le Leatherman (pince multifonctions, sorte de couteau suisse), le rouleau de gaffer (bande adhésive large toilée résistante qui se coupe facilement mais fait tout tenir), la maglite (petite lampe torche).
Bon...comme je disais, je n'ai rien, donc je me contente des rouleaux de gaffer que j'utilise sans modération pour faire tenir la moindre setlist, maintenant le moindre câble, faire des flèches avec le blanc pour indiquer les points dangereux et les entrées sortie, etc...
Tout est en place.
Régulièrement je dois aller backstage pour aller chercher un truc et à chaque fois que j'y retourne je vois encore un peu plus de monde.

Pour situer la scène de l'Olympia (tout du moins la version originale), c'est comme un vieux théâtre : scène en parquet, un rideau en devant de scène, un autre en fond de scène plus quelques pendrillons si besoin et une porte à cour et à jardin dans le fond derrière le rideau.
Sauf que juste derrière la porte à cour, ça donne quasiment directement chez Marilyn, c'est un bar où seuls les gens qui ont accès aux backstage peuvent venir boire des coups, en gros c'est l'endroit où tout le beau monde se rassemble, c'est assez rigolo parce qu'il y a un couloir étroit et qu'à cet endroit il y a aussi bien les « pue-la-sueur » comme on aime bien s'appeler, que les artistes, les invités, VIP etc.. un joyeux mélange qui en fait tout le charme.
Ça me faisait un drôle d'effet: chaque fois que j'ouvrais cette porte j'avais l'impression de « rentrer dans ma télé », tiens mais c'est Drucker entre le gros type qui fume un cigare et la nana qui sort d'un catalogue de mode?! 

Je pense que j'ai a peu près rendu l'état général de l'ambiance.
Dans l'après-midi, j'avais fait connaissance avec un petit jeune qui connaissait bien Khaled, et qui serait peut-être invité à venir chanter une chanson en duo. Tout timide tout gentil, je venais de rencontrer Faudel encore inconnu du grand public (moi y compris).

On est à quelques minutes du show, la salle est blindée, ça va commencer et là y'a Jean pierre « grosse moustache », avec son air sec qui me dit : prépare le spare y'aura peut-être un guest, mais on sait pas encore je te préviendrai pendant le show.
Heuuuu...ok....

Alors pour les non anglophones un guest c'est un invité, jusque là ok, comme on avait vu le jeune Faudel l'après-midi je ne suis pas étonné plus que ça.
Le « spare » c'est le micro de secours.
C'était les débuts du HF, on avait toujours un micro de secours normal, filaire sur une ligne séparée pour tendre en cas de problème. La plupart du temps il était branché pour rien, mais on pouvait aussi s'en servir lorsque justement il y avait un invité à la dernière minute.

Petit coup de maglite, c'est le top départ, les musiciens sont en place, les lumières s'éteignent et les premières notes commencent pendant que le rideau s'ouvre, le public est à fond, mais je dois me concentrer à fond sur mon boulot, je regarde partout, observe le moindre problème, tout semble se dérouler parfaitement. En face de moi il y a Gaël et un autre gars que je ne connais pas, je comprend direct qu'il s'agit du manager de Khaled vu la description qu'on m'en a fait : Claude, petit trapu moustache l'air pas sympa. Il est penché vers Gaël qui lui parle, je comprend qu'il est en train de parler de moi, il me regarde, me fait un petit signe de tête genre « ok, j'ai vu qui t'étais le nouveau », mais j'ai à peine remarqué qu'à côté de lui Khaled est là et fait son entrée, public en folie, le show est parti.

Un morceau, deux morceaux, il fait chaud, Khaled enlève sa veste et la lance dans ma direction, je l'attrape et je suis comme un con avec cette veste je ne sait pas quoi en faire, alors comme il y a une chaise posé sur le côté (celle où on a posé le micro spare, je mets la veste sur le dossier de la chaise).
Et je retourne à ma place pour observer tout le monde, pas de soucis particuliers, mais je ne suis pas à l'aise, je sens une pression, et ce gars en face qui me regarde bizarrement.
Il me fait des signes, mais il veut quoi ?
Je me demande alors ce que je dois faire : est-ce que je dois aller voir ce qu'il a ? pour ça il faudrait soit que je traverse la scène, soit que je passe par derrière avec le risque qu'il y ait une couille pile quand je ne suis pas présent.
Je pourrais passer derrière le rideau de fond mais le décors est constitué de plusieurs toiles dont un cyclo et éclairages posés au sol avec des porte gobo pour avoir des ombres chinoises de différentes formes. En gros en passant je prend le risque de mettre le pied où il faut pas, ou que le public voit un grand débile en ombre chinoise passer dans le fond.
Bref je choisi le mode « je ne vois pas le gars d'en face me faire des signes », je me concentre sur mon job : les zicos.
Jean-Pierre passe me voir :
- Il est prêt le spare ?
- Oui oui
- Ok, c'est pas encore confirmé mais normalement ce sera bon, je viendrai te le dire
j'en profite pour lui glisser :
- Heuuu, y'a ce monsieur, Claude je crois son nom ? Qui me fait des signes mais je ne sais pas ce qu'il a
Il regarde vite fait
- Laisse tomber, c'est sûrement rien d'important.
Et il se casse en me laissant dans ma putain de détresse.

Je le vois de plus en plus insistant : c'est bien à moi qu'il s'adresse et il essaye de me dire quelque chose.
Là il me fait clairement avec ses mains un geste qui signifie : « Regarde ! » puis il tend son doigt vers la console de retours, puis un autre signe qui semble vouloir dire « casse-toi ! ».
Puis il continue, il insiste, il parle à Gaël genre l'autre en face il comprend rien, Gaël semble se marrer.
J'avoue je ne suis pas tranquille, mon cerveau tourne à 1000 à l'heure pour comprendre ce qu'il me veut, je demande aussi à l'ingé retour, pareil il me dit : ben j'en sais rien, laisse tomber c'est Claude.


Pendant ce temps là les morceaux s'enchaînent, Khaled met le feu, même si c'est pas du tout mon style, ça joue super bien, tout le monde à le sourire, le public est à fond, à certains moments il a le micro en main, à d'autres il utilise le pied, il vient jouer sur le synthé à jardin, se balade entre les musiciens, s'approche du public, prend le pied de micro et me l'envoie, je le rattrape au vol, j'essaye d'anticiper les moments où il aura besoin du pied, typiquement le genre de chose impossible à prévoir quand tu ne connais pas les morceaux et l'artiste.
Mais en gros, à part les fameux signes de Claude que je n'ai toujours pas compris le show se déroule parfaitement.
Première sortie de scène, premier rappel, on vient me dire que je dois me tenir prêt pour donner le spare au fameux guest dès qu'il est là, j'ai donc un œil sur la scène, un œil sur le fond de scène pour être prêt.
J'ai le micro en main, les premières notes d'Aïcha sonnent, le public est en choeur avec Khaled et là je comprend : Jean Jacques Goldman vient d'entrer discrètement, ça me fait hyper bizarre de lui tendre le micro et il entre sur scène quand le second couplet commence, à l'unisson avec Khaled qui se retourne surpris (il n'était réellement pas au courant), le public je ne vous dit même pas l'état, c'est très impressionnant en fait, là je deviens spectateur.
La chanson se termine, Jean Jacques se retire après le « hug merci », il me tend le micro, il me sourit en me remerciant, limite il s'excuse de nous avoir dérangé, j'en revient pas.

Le concert se termine, zéro suspens, c'était parfait de A à Z J'ai même plus mal aux pieds (enfin, mon cerveau ne s'en souvient plus à ce moment là), la foule se retire, derrière c'est champagne de tous les côtés, on vient même nous dire de venir aussi, laisser tomber le boulot pour le moment, là c'est l'heure de fêter.
Le syndrome de l'imposteur est là, je suis au milieu de tout le gratin du show business et je me demande ce que je branle là, mais je suis content.
Les musiciens sont supers contents, tout le monde est content, c'est le paradis, on peut pas mieux dire, malgré la fatigue.

On me demande pourquoi je suis tendu, je dis que Claude veut que je dégage, j'ai bien compris que je ne faisais pas l'affaire, il m'a fait signe de prendre ma veste et de me barrer.
Et là justement, je le vois venir vers moi, il me tend la main :
- Salut, Fabien c'est ça ? T'es le nouveau backliner ma dit Gaël. Mais t'as rien compris à ce que je te disais ?
- Désolé mais non je voyais bien qu'il y avait un truc.
- ben oui, la veste ! Je te faisais signe de prendre la veste pour la dégager de là, qu'elle traîne pas n'importe où.

Voilà, c'est comme ça que j'ai su que pour les dizaines de concerts à venir, au bout d'une ou deux chansons, Khaled enlevait sa veste et me la jetais pour que je la mette de côté.
Il adorait lancer des trucs, et j'avoue que c'est ensuite devenu un petit jeu, notamment avec le pied de micro qu'il adorait me lancer en mode Johnny en se marrant.

C'était long, mais j'avais envie de ne rien oublier pour cette première confrontation au métier par la grande porte et en mode hardcore.

Prochain épisode je vous raconterai comment après ce premier pied posé (aïe!) j'ai appris ce que c'était vraiment la vie de tournée.

 

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